AU SUJET DE LA DISPARITION DE L’ÂME AUJOURD’HUI | APRÈS “LE TRÉSOR DES HUMBLES” LIVRE DE MAURICE MAETERLINCK

Jean-Pierre Sergent
4 min readJan 8, 2021

CONSTAT & ÉTAT DES LIEUX (à lire sur le site internet)

“Il y a vraiment des siècles où l’âme se rendort et où personne s’en inquiète plus.” *

L’Art n’est pas uniquement un exotisme du vivant car il possède une âme propre. Et notre monde contemporain européen et français en particulier, est tellement habité d’une “tristitude” envahissante, très sombre et contagieuse, qu’il est difficile pour nous artistes de flotter, vaille que vaille, au milieu de cet environnement délétère. L’Art et nous-mêmes sommes comme des icebergs perdus en haute mer, mais enfouis, noyés par la non salinité de cette eau non porteuse et enfouissante. Cette saumure diluée ne permettant plus de flotter fièrement au 9/10 de notre masse immergée, comme tout bel iceberg érigé, bandant, vertical, vierge, blanc et joyeux qui se respecte. Ce ratio s’étant plutôt effondré, on pourrait gager que notre niveau de flottaison est maintenant seulement autour des 99/100 de notre masse immergée dans cette mer désalinisée, pauvre, déshumanisée. Comme pour ces pauvres et tristes marins d’eau douce, sans grands espoirs d’horizons lointains, sans perspectives d’aventures humaines et artistiques intéressantes.

Cet état de fait, bien malheureux, malgré tous nos efforts, semble s’être installé, petit à petit et insidieusement, avec la logique capitaliste et après les grands chocs du vingtième siècle dernier : les grands mouvements artistiques qui ont bousculé l’Art et nos façons de voir la vie ; mais encore et surtout bien sûr, après les deux grandes guerres mondiales et les terribles génocides humains, peu comparables historiquement sauf, bien sûr, avec la colonisation des Amériques par l’asservissement et la presque extermination des peuples indigènes.
Alors, l’Art pouvait-il vraiment survivre à ces grands bouleversements, cette liberté artistique folle ? Ces chocs historiques profonds ? Ainsi qu’à ce nouveau Marché de l’Art financiarisé, capitalisé, marchandisé et même institutionnalisé, qui a transformé l’Art, comme toute choses par ailleurs, en marchandise ? Il semblerait plutôt paradoxalement que non, n’en déplaise aux chiffres astronomiquement élevés, édifiants et jamais atteints de ce marché là ! Car l’Art semble avoir perdu de son sens, de sa vitalité, de sa beauté et de son “esprit” !

Et même la beauté**, si elle ne reste qu’esthétique, a complètement disparu des radars et des préoccupations des artistes contemporains ; sauf, peut-être, pour quelques peintres du dimanche… Et alors la spiritualité n’est, bien sûr, elle-même plus évoquée du tout à notre époque si bien nommée post-culturelle, si totalement sécularisée. Cela veut-il dire, comme le disait si justement Maeterlink, que l’âme et sa beauté adjointe ne seraient plus nulle part d’actualité ?

“A une époque très reculée de l’histoire de l’Inde, l’âme doit s’être approchée de la surface de la vie jusqu’à un point qu’elle n’atteignit jamais plus. […] Rappelez-vous la Perse, par exemple, Alexandrie et les deux siècles mystiques du Moyen Age.”

Car, bien évidemment, de nos jours et ça, je le sais par mon expérience et ma longue pratique artistique : l’âme (l’énergie vitale) ne touche, ne transcende, n’interroge, n’émeut, ne transperce plus rien ni plus personne. Ni le public en général, ni les aficionados du Monde de l’Art que sont les collectionneurs, directeurs de musée, galeristes etc., ni même les individus en particulier…
Enfouis, refoulés, perdus, broyés, l’Art et l’âme soudés ensemble comme des amants fusionnels et éternels, maudits peut-être ? Ils ont sombré et sont aussi jetés en pâture, parmi une infinitude de déchets vulgaires et étouffants de produits de consommations courantes, de pensées médiocres, d’actes et de volontés soumises créés par l’ensemble des êtres humains, étant, maintenant, tous devenus et comme des moutons de Panurge, de très petits ordinaires et minables consommateurs, même en achetant des œuvres de plusieurs millions de dollars… Juste de petits consommateurs… Ni plus ! Ni moins !

Alors à quand une renaissance ? Un réveil de l’Art et de l’âme ? Affaire à suivre !

* Le réveil de l’âme, Le trésor des humbles, Maurice Maeterlinck

**En revanche, il y a des siècles parfaits où l’intelligence et la beauté règnent très purement mais où l’âme ne se montre point. Ainsi, elle est très loin de la Grèce et de Rome, du XVIIe et du XVIIIe siècle français. On ne sait pas pourquoi, mais quelque chose n’est pas là ; des communications secrètes sont coupées, et la beauté ferme les yeux. Il est bien difficile d’exprimer ceci par des mots et de dire pour quelles raisons l’atmosphère de divinité et de fatalité qui entoure les drames grecs ne semble pas l’atmosphère véritable de l’âme.”

Jean-Pierre Sergent, le 29 décembre 2020

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